De la démocratie

 

 

Le Liban : la punition collective

La pensée et la structure mentale des hommes sont largement orientées et organisées par la langue et la religion, les deux vecteurs principaux de la culture. Ainsi, lorsque nous évoquons la démocratie, qu'entendons-nous par ce terme ? Nous ne l'envisageons certainement pas sous le même angle qu'un citoyen des ex-Républiques démocratiques des pays de l'Est ou d'un Palestinien ou d'un Saoudien, etc. Et ces derniers, qu'elle perception ont-ils de notre conception de la démocratie ? Saisissent-ils l'insondable puits de générosité et de justice que revêt, à nos yeux, ce concept dont nous parlons beaucoup sans vraiment savoir ce qu'il renferme ? Sont-ils fascinés par nos démocraties étatiques au point de souhaiter appliquer nos modèles sociaux, économiques et politiques à leurs propres sociétés civiles ? J'ai bien peur qu'ils y voient surtout une volonté d'imposer nos modes de vie et de pensée, par la force s'il le faut, comme le font les nouveaux « croisés » américains en Irak, au nom de la vision d'un nouvel ordre mondial qu'ils veulent, par ignorance, universel.

Et pour nous, occidentaux, la décision d'un peuple est démocratique lorsqu'elle répond à nos aspirations et anti-démocratique dès lors qu'elle ne sert pas nos desseins. Ainsi, après la mort du président Arafat, des élections présidentielles, communales et parlementaires eurent lieu, on ne peut plus démocratiquement selon nos critères occidentaux. Le Hamas enleva de nombreuses municipalités à Gaza et en Cisjordanie et s’assura la majorité absolue au Parlement palestinien. Pourtant, ce processus démocratique ne fut du goût ni des dirigeants israéliens ni de celui des États-Unis ou de certaines puissances occidentales comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Pour eux, le Hamas est une organisation terroriste et ne peut que le rester. Si le processus de paix n'avait pas été interrompu par les impasses dressées par Israël et ses alliés stratégiques, et la feuille de route respectée, les actions de résistance n'auraient plus eu lieu d'être... Il en fut décidé autrement par le tandem israélo-américain et l'Union Européenne, ce qui eut pour conséquence un chaos économique et politique au sein de la société palestinienne et déclencha l’action de résistance de la branche armée du Hamas qui déboucha, entre autres, sur la capture d'un soldat israélien. « ... Il ne faut pas oublier que les Sionistes ont eu recours au terrorisme en utilisant des bombes pour chasser les Britanniques hors de Palestine et que Yitzhak Shamir, ancien terroriste devenu plus tard Premier ministre, déclara que "ni l'éthique juive ni la tradition juive n'excluaient le terrorisme comme moyen de lutte". »(a)

Il n'est pas inutile de rappeler que durant la première Intifada, l'armée israélienne distribua des matraques à ses troupes avec pour consigne de briser les os des protestataires palestiniens. La section suédoise de l'organisation Save the Children a estimé que « 23 600 à 29 000 enfants ont dû recevoir des soins médicaux pour les coups reçus durant les deux premières années de l'Intifada ». Près d'un tiers d'entre eux étaient âgés de 10 ans et moins. La réponse à la seconde Intifada fut encore plus meurtrière. L'armée a tiré 1 million de balles le premier jour de la répression. Les statistiques démontrent que pour chaque Israélien tué, 3,4 Palestiniens sont morts. Quant aux enfants, le ratio est encore plus édifiant : 5,7 enfants palestiniens sont morts pour chaque enfant israélien tué...

Quoi qu'il en soit, nous pouvons nous poser légitimement la question de savoir pourquoi le Hamas, parti fondamentaliste Chiite, a été porté au pouvoir par la grande majorité d'un peuple qui comporte un nombre non négligeable de Chrétiens, des Sunnites et des Chiites pas forcément radicaux et qui, dans leur immense majorité, avaient porté le Fatah (mouvement moins « radical ») au pouvoir du vivant de Yasser Arafat, lequel était Chrétien, soit dit en passant...

Je répondrai très simplement que l'être humain n'agit pas, mais réagit. Et l'élection du Hamas est la réaction d'un peuple aux humiliations, attaques, exécutions sommaires et autres agressions dont il a souffert dans sa chair et payées de son sang, perpétrées par le gouvernement israélien. Que feriez-vous si, chaque jour, un char de l'armée d'un pays voisin envoyait des obus sur le Palais de l'Élysée, comme ce fut le cas pour le président Arafat alors retranché dans la Muquata(1), et l'armée occupante exécutait vos compatriotes selon son bon vouloir ? Ne vous révolteriez-vous pas ? Ne tenteriez- vous pas de lutter contre l'agresseur ? Moi, si !

Mais alors, le Hamas et les Palestiniens seraient des anges entourés de démons ? Ce n'est pas ce que je veux dire. Cependant, à chaque intervention de l'armée israélienne au Liban, j'avais coutume de dire qu'ils engendraient une nouvelle génération d'individus qui les haïraient jusqu'à la fin de leurs jours... « Le terrorisme n'est pas un adversaire en tant que tel, mais plutôt une tactique employée par un large éventail de groupes politiques. (...) Qui plus est, le terrorisme palestinien n'est pas une violence dirigée au hasard contre Israël ou l'Occident ; c'est en grande partie une réaction à la longue campagne d'Israël pour coloniser la Cisjordanie et la bande de Gaza. »(a)
Cela expliquerait-il ceci ?

Et nous en arrivons, tout naturellement, à l'ambiguïté des termes employés pour qualifier celui qui se révolte : pour les uns, c'est un résistant, pour les autres, un terroriste. Cette qualification est éminemment subjective. Et elle le restera tant que le terme « terrorisme » sera employé à mauvais escient dans son sens général, comme un raccourci, par les gouvernements et les médias, et recouvrira une variété d’actes et de situations toutes différentes. Oh ! J'en conviens ! Un Palestinien, bardé d'explosifs, qui fait sauter sa charge dans un autobus ou devant la terrasse d'un café bondé de jeunes gens en train de s'amuser n'accomplit pas un acte d'une grande noblesse ou même d'une grande utilité. Il ne fait que discréditer sa communauté et tuer des innocents(2), tout comme tel rabbin ou tel colon juif, armé d'une Kalachnikov, tirant sur tout ce qui ressemble à ce qu'il appelle, avec le grand mépris de l'ignorant, "un Arabe" ! Et je place dans la même catégorie les exactions de l'armée israélienne dans les territoires occupés, exécutant les Palestiniens à l'aide de missiles tirés d'avions de combat, d'hélicoptères ou de chars...

Pour ce qui est de l'action militaire israélienne au Sud Liban en juillet et début août 2006, qui fit 1 000 victimes civiles libanaises et près d'un million de déplacés, les mêmes actions ont engendré les mêmes effets... L'attaque du Hamas le 25 juin à Gaza contre un poste israélien, dans sa lutte contre l'occupant, tua deux soldats et fit un troisième prisonnier dans l'intention de l'échanger contre des Palestiniens détenus en Israël. Une incursion du Hezbollah libanais au nord d'Israël fit deux autres prisonniers israéliens. Le Hezbollah, malgré les dénégations du Hamas, a prétendu avoir voulu défendre ses frères palestiniens contre les actions meurtrières et les humiliations permanentes infligées par l'armée israélienne et restaurer un peu de l'honneur des Arabes. Ces actions conjuguées déclenchèrent les foudres d'Israël. La provocation était de taille, il est vrai, mais, dans les deux cas, la riposte fut disproportionnée. Le Hezbollah a, lui aussi, apporté son lot de victimes et de désolation dans le nord d'Israël, mais pas dans les mêmes proportions... Israël souhaitait en découdre depuis longtemps avec le Hezbollah. Elle envahit le Sud Liban, mais trouva, en face d'elle, un groupe qui lui tint la dragée haute ! A ce moment précis, le Hezbollah a-t-il agi en groupe terroriste ou bien en groupe armé nationaliste défendant son territoire ? Quelle différence, sur le plan de l'éthique, entre l'action du Hezbollah et celle qu'aurait pu mener l'armée libanaise si le gouvernement n'avait pas été enfermé dans le carcan de ses relations ambiguës avec Israël dans le passé et les accords occultes intercommunautaires ? Le Hezbollah a lutté pour se défendre et défendre son territoire de ce qu'il considérait comme une agression. Pouvait-il accepter les tirs sur les civils tentant de fuir les bombardements aveugles, la destruction de la petite centrale électrique de Jieh et des réservoirs de fuel qui ont souillé le littoral libanais (voir les images), la destruction des ponts, des infrastructure routières et portuaires, de l'aéroport de Beyrouth ? Son secrétaire général, Hassan Nasrallah, est aujourd’hui non seulement le héros d'une majorité de Libanais, mais aussi celui du monde arabe tout entier, l'Arabie Saoudite comprise, malgré la tentative de la famille royale de le discréditer. En Irak, même les alliés des États-Unis au sein du gouvernement se sont affichés publiquement pour le Hezbollah. Alors, le Hezbollah doit-il être considéré simplement comme un groupe terroriste, qualificatif employé à tort et à travers par les médias et les hommes politiques ? La réponse est plus subtile qu'il n'y paraît et ne peut être résumée par un lapidaire oui ou non ; je tenterai d'apporter ma réponse dans une prochaine page...
Lire l'article « Hezbollah, Hamas et Israël : Tout ce que vous devez savoir » d'Alexander COCKBURN, en cliquant le bouton Suivante au bas de cette page ou sur son libellé dans la marge de gauche.

Violences inutiles d'ailleurs, car l'armée israélienne, et sa haute technologie militaire américaine, a été tenue en échec par des miliciens à l'armement dérisoire, sans bateaux de guerre, sans avions de combat, sans chars. « Tout le monde en convient, l’armée israélienne a perdu la guerre des 33 jours. Et ce, en dépit de son incroyable supériorité en armements et de ses dizaines de milliers de soldats. Pourtant, les observateurs, israéliens notamment, avaient averti que le Hezbollah disposait d’une infrastructure sophistiquée et de combattants redoutables. On ne les a pas écoutés. Pourquoi ? C’est admis en Israël, le groupe dirigeant actuel autour d’Olmert ne brille pas par son intelligence. La pitoyable prestation du ministre de la Défense et chef du parti Travailliste, Amir Peretz, s’est ajoutée à la médiocre performance du reste du gouvernement. »(b)

Tout reposait sur la croyance que l’armée israélienne était toute puissante et pouvait éradiquer des mouvements comme le Hamas et le Hezbollah. On a oublié que l’occupation israélienne dans les territoires palestiniens a été un échec, de même que l’occupation du sud du Liban pendant 18 ans. En fait, le Liban a été le Vietnam d’Israël. Lors de la dernière agression, les stratèges israéliens ont voulu imiter les Américains en menant une guerre « ultra sophistiquée ». Ce qui s’est avéré un échec devant la force militaire du Hezbollah qui est, au Liban, dans son élément. De plus, le sud du Liban est un lieu rêvé pour la guérilla. Tout au plus, Israël a-t-elle été en mesure de casser une bonne partie de l’infrastructure du pays, forçant à l’exil des centaines de milliers de Libanais. Les massacres provoqués par les bombardements israéliens, en totale violation des conventions internationales, ont révolté l’opinion et renforcé la popularité du Hezbollah. Triste bilan...

E. Gallery de La Tremblaye

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(1)
« Pendant trois ans, le vieil homme était encerclé dans son camp retranché et bombardé, mettant, parfois gravement, sa vie  en danger ; la Muquata, l'immeuble dans lequel il passa la dernière année de sa vie, était en ruine et menaçait de s'effondrer depuis plus de deux ans. En dépit de son âge, sans électricité ni eau courante, et malgré les humiliations quotidiennes, l'homme ne s'est jamais rendu. »    (retour au texte)
in « The Passion of Arafat » de Gilad Atzmon

(2)
L'innocence des civils est une notion toute relative. Je me souviens d'une discussion avec un Cheik Hezbollah - l'un des responsables, dans le passé, du détournement de l'avion de la TWA - à qui j'évoquais précisément l'innocence des civils, m'a répondu ainsi : « Vous prétendez vivre dans une démocratie ; vous élisez vos représentants politiques au suffrage universel, donc vous êtes responsable de leurs actes et êtes aussi coupable qu'eux. » Sur le plan de la logique pure, c'est inattaquable ! Mais le raisonnement est par trop simpliste. Non seulement tous les citoyens ne sont pas en accord avec toutes les décisions de leur gouvernement - celui-ci, et la politique qu'il porte, étant élu en général à une très faible majorité - mais encore, les 50 et quelques pour-cent ayant mis « leur » gouvernement en place ne sont pas systématiquement en harmonie avec sa politique, quand bien même ils seraient informés de toutes ses décisions.
Les citoyens israéliens juifs ont largement montré, par le passé, dans des mouvements comme "Peace Now", leur forte désapprobation de certaines des décisions de leurs dirigeants.    (retour au texte)


(a) in « The Israel Lobby » de J. Mearsheimer et S. Walt

(b) in « La prochaine guerre du Liban » de Pierre Beaudet

 

 INDISCRÉTION NON VÉRIFIÉE ! 
Le chef d'état-major de l'armée israélienne, au courant de l'attaque imminente, et pour cause, aurait anticipé la baisse prévisible de la bourse et vendu ses actions, réalisant ainsi une « économie » de 50 000 €... Le délit d'initié serait-il à « géographie variable » ? Pas impossible ; j'imagine mal la Bourse de New York, par exemple, s'intéresser de trop près aux mouvements des actions des « Rois du pétrole » amis des Américains ! Intérêt, intérêts et politique seraient-ils indissociables ? En tout cas, l'attitude occidentale dans cette région du monde paraît, pour le moins, ambiguë...

E. Gallery de La Tremblaye