Claudine témoigne...

 

 

Témoignage et réaction de Claudine Luscher à Préambule
Date : Thursday 17 August 2006
Heure :
0948 +0200

Cher Jean-Claude,

Je t'envoie ce petit récit pour "réagir"... Mais ce que tu as décrit de ton passage à Gaza m'a tiré les larmes.

C'est bien comme ça que j'ai ressenti les Palestiniens... Et je n'arrive pas à comprendre comment Israël, avec l'aide des USA, a pu en faire des "terroristes" systématique. Comment la culture orientale, qui savait développer le sens de l'accueil à un point incroyable (mon premier contact avec les voyages hors Europe a été le Liban... à Noël 74), peut-elle être aussi mal connue, mal interprétée, piétinée, humiliée, harcelée par la majorité des Israéliens ? Est-ce que les journalistes réalisent ce qu'ils disent et impliquent dans leurs commentaires en reprenant le discours officiel des "porte-parole-diffuseurs de propagande" ?

J'ai connu les journalistes dont tu parles. Comme toi, mais de loin, j'ai assisté à la première Intifada grâce aux images que nous recevions, et des reporters de France 2, des correspondants en Israël : Charles Enderlin et Didier Epelbaum, en Israël, mais aussi celles des agences internationales (Reuter, ABC, CBS, etc.). Je me souviens encore des images qui ont fait basculer l'opinion (en tout cas en France) : des jeunes Palestiniens se faisaient courser et rattraper par des soldats israéliens... dans un "no man's land" et la caméra avait filmé la scène : les soldats israéliens, une fois qu'ils ont eût capturé un ou deux adolescents, les ont frappés (surtout les bras) avec de grosses pierres... Ils leur cassaient bras et jambes, frappaient tranquillement... j'ai été choquée par ces images car il n'y avait pas de colère chez les Israéliens... leurs gestes n'étaient pas heurtés, énervés... ils "cassaient"... presque tranquillement.

Du coup, Israël a changé sa façon de communiquer pour la 2e Intifada... Tout est organisé, disséqué, pré-mâché, censuré... Comme un être humain manipulateur et tortionnaire souvent se décrit comme la victime des autres, se déresponsabilisant par la même occasion, Israël manipule et accuse tout son entourage. Ca n'est pas le seul état à avoir "pété un câble" mais il semblerait que ce soit ainsi que nous allons vivre le XXIe siècle ! Invitée par des amis Palestiniens, je suis allée à Jérusalem-Est en novembre 2000. Ils voulaient m'héberger, mais j'ai décliné leur gentille offre. J'avais trouvé un hébergement au St George Hotel, dans les jardins de l'Église Anglicane... Il m'a été impossible de sortir de Jérusalem en direction de la Cisjordanie, encore moins de Gaza...

Arafat était encerclé dans sa Muqataa... les chars israéliens étaient partout... dans les territoires toujours occupés (malgré les "accords de paix" et les "prix Nobel" !!!). Un jour, est arrivé un citoyen anglais, travaillant pour une ONG à l'installation d'un réseau informatique en Palestine... il s'était "échappé" de Bethléem, laissant la population de la ville terrée dans les caves. Il m'a raconté que les chars étaient entrés dans la ville, tirant sur quiconque se baladait dans les rues et détruisant systématiquement toutes les vitrines de Bethléem avant Noël... enfonçant les portes fermées, etc... Des "activistes" (j'aimerais bien que les media qui prononcent ce mot en parlant des "exécutions sommaires israéliennes" m'expliquent à quoi peuvent bien s'activer les gens exécutés) s'étaient réfugié dans l'Église (on a tous vu le siège de l'Église de Bethléem... à la télé... moi après mon départ).

Dans la vieille ville de Jérusalem, c'était pathétique... les commerçants suppliaient les rares "touristes" qui se promenaient dans les ruelles... le drapeau bleu et blanc était partout... l'armée israélienne patrouillait dans toutes les petites ruelles, et j'ai été frappée par une chose : dans beaucoup de patrouilles, il y avait un Falasha ou beaucoup d'Arabes israéliens... Je pouvais sentir la tension et c'était très désagréable. Tous les soirs, je retrouvais mon couple d'amis palestiniens, travaillant sur le site d'une ONG palestinienne. Tous les soirs, ils étaient si affligés, moi si triste, que nous nous jetions un peu sur l'arak... Ils arrivaient toujours en retard aux rendez-vous car ils devaient passer les barrages. Pour venir de Ramallah, il leur fallait 2h au moins... et montrer patte blanche aux soldats des check-points. Au bout de 4 jours, j'ai repris l'avion pour Chypre où j'étais en vacances... J'étais épuisée par l'amertume que je sentais monter en moi.

J'ai pris un petit "cheroot" (taxi collectif) pour me rendre de l'Hôtel St George à l'aéroport de Tel Aviv. J'étais la seule "goy" et je pouvais presque toucher du doigt l'hostilité à l'intérieur du taxi. Mon départ fut apocalyptique : comme je venais de l'Est, les jeunes femmes de services de sécurité de l'aéroport m'ont harcelée. A trois reprises, j'ai été questionnée, fouillée, on a cherché dans mon agenda, dans mon carnet d'adresse, on m'a demandé "why did you go East ?" (car on est obligé de déclarer à quel endroit on va lorsqu'on arrive sur le sol israélien... ). A quoi j'ai répondu "because I've not been invited West". Ma brosse à dents les a beaucoup intriguées... on m'a questionné sur la raison de livres d'Amin Maalouf en anglais dans mes bagages, toujours les mêmes questions, toujours le même ton cassant et imperturbable des jeunes filles. J'ai dû, bien sûr, ranger moi-même le contenu de mon sac qui avait été intégralement sorti... même si elles portent des gants, les garantissant de tout contact avec quoique ce soit de malsain, elles ne prennent pas la peine de ranger après avoir flanqué le b... Arrivée enfin en salle d'attente avant l'embarquement... un type se met devant moi au moment d'entrer et me montre son badge pendouillant à son cou... fonctionnaire du Ministère du Tourisme qui "enquêtait" sur mon séjour... De nouveau j'ai eu droit à un questionnaire en règle (mais là on ne m'a pas fouillée, heureusement) : où étais-je allée, pourquoi, comment, ce que j'en avais pensé, est-ce que je voudrais revenir. A cette question, j'ai explosé : "Now, look at me ! I'll never again come back in this f...ing country. Israelis are tough, agressive and they ruin the landscape"... Jamais été aussi contente, dans ma vie de voyageuse modeste, de mettre les pieds dans un avion pour m'échapper de cette terre de paranoïa aiguë.

Merci Claudine pour ton témoignage. JC