Préambule

 

 

Le Liban : la punition collective

J'ai décidé de donner mon éclairage (autrement dit mon avis !) sur les événements passés, actuels et futurs au Liban ! Je me doute bien qu'il ne sera pas du goût de tout le monde, mais il a, à mes yeux, l'avantage d'être le mien !

Évidemment, ceux qui ne seront pas d'accord avec mon analyse de la situation me taxeront, au mieux de stupidité, au pire de partialité ; qu'ils prennent soin de me contacter afin de confronter nos points de vue ; s'il s'avère que je me suis trompé, c'est avec plaisir que je corrigerai mes erreurs. C'est le moins que nous puissions faire à propos d'un sujet qui traite de l'entêtement et de l'ignorance ! Se mettre à la place de l'autre ne va pas de soi... Et pourtant, c'est si facile si on le veut vraiment...

Avant toute autre chose, je tiens à proclamer haut et fort que je suis ni raciste, ni contre quelque forme de croyance religieuse, quelle qu'elle soit, ni anti-clérical, ni opposé aux pratiques religieuses (je me signe quand j'entre dans une église, je retire mes chaussures pour entrer dans une mosquée, je porte une kippa pour accéder au Mur des lamentations à Jérusalem), ni anti-sémite, évidemment, ni anti-juif (deux notions fort différentes que j'expliquerai plus tard), mais violemment contre certains excès du Sionisme. Et lors des critiques que je formulerai à l'encontre d'Israël, elles s'adresseront uniquement aux formes de la politique sioniste de son gouvernement.

J'ai vécu la guerre du Liban dès son début, en tant que « reporter » - terme que je préfère à celui de « journaliste », car il qualifie un individu qui va sur le terrain et témoigne d'événements qu'il a vus et vérifiés, quand l'énorme majorité des journalistes parlent de situations qu'il ne connaissent pas, si ce n'est au travers des dépêches d'agences. Mon statut privilégié de reporter d'une chaîne de télévision nationale m'a permis de rencontrer toutes les parties (et tous les partis), de voyager dans toutes les régions du pays, divisé en autant de territoires fermés qu'il y avait de parties en conflit, eu des contacts avec tous les intervenants, y compris avec ceux que l'on qualifie un peu vite de « terroristes ». Ce qui m'a permis d'avoir une vision globale, et non parcellaire, des conflits, des intérêts et de la diversité de perception des événements, par définition propre à chacun. Une expérience que très peu de gens ont, quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent ; les Musulmans ont leur point de vue, les Chrétiens le leur, les Druzes encore un autre, etc.

Ce que l'on appelle la guerre du Liban englobe non seulement les conflits sanglants intercommunautaires, principalement Chrétiens contre Palestiniens réfugiés et autres Musulmans libanais, mais également les innombrables interventions d'Israël, soit directement, soit par l'intermédiaire de l'armée du Liban Sud, faction chrétienne armée et soutenue par Israël, qui se chargeait des basses besognes de cette dernière qui, à l'époque, répugnait peut-être à trop se salir les mains...

Pour l'anecdote, je rappellerai que j'ai fait le premier reportage à Ghaza, territoire occupé par Israël, dans le camp de réfugiés palestiniens de Jabalyah d'où est partie la première Intifada, le 8 décembre 1987. J'étais sur les lieux environ deux mois après le début de la « révolte des pierres ». Le camp était alors encerclé par l'armée israélienne afin d'empêcher quiconque d'y pénétrer et encore plus d'en sortir. C'est pourtant ce que j'ai fait, seul, c'est-à-dire sans équipe, mais accompagné et guidé par un jeune résistant Palestinien, au nez et à la barbe d'une des plus puissantes armées du monde ! Je me suis quand même cassé un doigt dans l'aventure, mais je garde un tel souvenir de ce reportage... J'ai été accueilli avec beaucoup de gentillesse, chacun me menant d'une maison à l'autre par des ruelles et passages que ni les soldats, juchés sur des miradors, ni les patrouilles à l'intérieur du camp ne pouvaient voir. J'ai rencontré des personnages hors du commun tel cet homme, féru de littérature française, dont la bibliothèque recelait les œuvres complètes de Guy de Maupassant, de Victor Hugo et de bien d'autres encore ! Je couchais chez les uns et chez les autres, chacun m'offrant l'hospitalité comme si j'étais un bienfaiteur ! Ils voulaient que le monde sache tout de leurs conditions de vie. Hormis le bruit des chars qui patrouillaient dans le camp toute la nuit, surtout pour empêcher les occupants de dormir, le ravitaillement était un véritable problème ; quelques marchands étaient autorisés à pénétrer dans le camp avec leurs camionnettes et les femmes pouvaient alors faire leurs maigres emplettes. Et ce que j'ai vu correspondait en tout point à ce qui se disait à l'époque sur les agissements de l'armée dans les camps : humiliations permanentes, coups de matraque aux femmes qui manifestaient, etc. J'ai vu, de mes yeux vu, et filmé, des dizaines de femmes soulever leurs djellabah pour me montrer leurs corps couverts d'ecchymoses. Je dois avouer qu'à la vue des premières traces de coups, j'ai pensé que la femme était peut-être tombée dans un escalier ou bien qu'un mari avait eu la main un peu lourde ! Mais lorsque vous avez autour de vous une cinquantaine de femmes dans le même état, le doute n'est plus permis...

De retour à Jérusalem pour monter et envoyer le sujet à Paris par satellite, je me souviens avoir terminé mon commentaire par ces mots : «... et ce mouvement ne fait que commencer », portion de phrase que le rédacteur en chef, responsable du week-end, m'a demandé de supprimer, ce que j'ai fait volontiers... Je tairai son nom - mais pas ses initiales : Ph. G. -, car c'est un ami et un excellent journaliste (pardon, reporter !) pour lequel j'ai beaucoup d'estime et de respect professionnel. Mais là, il s'est fourré le doigt dans l'œil ! Les grandes agences de presse n'avaient sans doute pas encore évalué l'ampleur du mouvement, et un rédacteur en chef a toujours quelques réticences à laisser dire ce qu'il n'a pas lu dans les dépêches des agences de presse ! Nul n'est prophète en son pays, pas même en direct de la Terre Sainte !

Cela me rappelle mon arrivée à l'aéroport de Tel-Aviv pour effectuer ce reportage. J'étais seul, mais affublé d'une caméra vidéo professionnelle de l'époque dont la taille ne permettait aucun doute sur sa fonction ! À la police des frontières, un fonctionnaire me demande de le suivre ; je me doute que les autorités souhaitaient quelques explications à la venue d'un homme seul, alors qu'habituellement une équipe de télévision est composée de quatre personnes et, en général, fait tout pour ne pas passer inaperçue ! On m'avait pris pour un espion ! Pendant que je marchais, je me disais que celui que j'allais rencontrer pouvait toujours courir pour savoir ce que je venais faire ! Mon « guide » arrive devant une porte, frappe et un homme à l'allure souriante et affable ouvre, me fait entrer dans un vaste bureau, pas du type « placard » de sous-fifre, et m'invite à m'asseoir. Fort de ma résolution de ne rien dire, je le laisse venir. L'homme, grand, à la quarantaine entamée, commence à me parler de tout et de rien. Je ne me souviens plus de ce qu'il m'a dit exactement, mais il n'a pas fallu plus de cinq minutes à cet agent des services de renseignements pour que je lui déballe tout ! Quel psychologue ! En quelques phrases, il a compris comment je fonctionnais, ce qu'il fallait dire pour me provoquer, et mon mauvais caractère a fait le reste ! Qu'est-ce qu'il croyait ? Qu'il me faisait peur ? Et bien qu'il sache ce que je pensais des reportages faits, jusqu'ici, sur l'occupation d'un territoire qui n'était pas le sien ! Et voila comment un homme intelligent s'est joué de moi ! Je n'ai pas honte, il était tellement plus fort que moi ! Israël étant une vraie démocratie, il m'a souhaité la bienvenue et je n'ai jamais été inquiété.

C'était le premier reportage d'un non juif sur l'Intifada. Je voulais comprendre comment elle était née et, surtout, pourquoi. Je voulais également savoir comment les réfugiés vivaient dans ce camp assiégé ; le blocus israélien était total. Des chars et des engins blindés patrouillaient jour et nuit sur une piste circulaire entourant le camp et bordée, de chaque coté, de hautes barrières de fils de fer. La décision de mon départ a été prise en conférence de rédaction alors que j'exprimais mon étonnement à J.-P. Elkabach, alors directeur de l'Information, devant sa décision de ne plus faire traiter les événements de Corse, qui faisaient la « Une » à l'époque, par des Corses, alors que les reportages sur les territoires occupés émanaient de correspondants israéliens juifs exclusivement. L'un de ces honorables correspondants était, et est toujours, Charles Enderlin, charmant garçon au demeurant, mais avec lequel je me suis tout de même engueulé ! Lors d'un reportage effectué beaucoup plus tard, il voulait pénétrer dans Gaza sous la protection de l'armée israélienne ; je lui ai dit que je n'avais jamais effectué de reportage sous la protection d'une armée, quelle qu'elle soit, et qu'il pouvait continuer sans moi ! Nous sommes tout de même entrés, sans l'armée mais pas sans crainte de sa part, pour se poster devant un café qui se trouvait lui-même devant la plus grande caserne de l'armée israélienne dans les territoires occupés ! Inutile de dire que nous ne sommes restés que quelques minutes, le temps pour moi de boire un Coca, et nous sommes repartis. Sans douter un instant de son intégrité intellectuelle et journalistique, je dirai que c'est un bel exemple de la difficulté de rapporter ce que les Israéliens nomment pudiquement « les événements » dans ce pays : comment être juge et parti, c'est-à-dire membre de l'armée israélienne, car tout Israélien juif est un soldat, au moins réserviste, et journaliste ? Difficile, dans ces conditions, de rendre compte d'une situation que l'on observe que d'un seul côté de la barrière... Difficile, dans ces conditions, mais pas impossible sans doute, d'être totalement objectif. A vous de juger...

E. Gallery de La Tremblaye